Lorsque Sandro Botticelli dépeint sa bien-aimée Simonetta Cattaneo de Vespucci comme le personnage principal de «la Naissance de Vénus » Au XVe siècle, il pensait peut-être qu’elle finirait par tomber amoureuse de lui. Elle fut le tout premier amour du peintre et fut peut-être la plus belle italienne de l’époque. Pourtant, elle continuait à l’ignorer. C’était un amour non partagé.
De même, lorsque le Musée des Offices a envoyé une lettre aux Français loger Jean Paul Gauthier de retour en avril 2022 demandant de cesser tout usage de «la Naissance de Vénus » dans leurs Le Musée collection, il a peut-être pensé qu’il recevrait éventuellement – à tout le moins – une sorte de réponse. Pourtant, le destinataire a simplement ignoré la lettre (plus précisément, à partir de maintenant, il vient de retirer les articles contestés de sa place de marché en ligne.
Les femmes italiennes peuvent être dures, les françaises aussi Maisons. En effet, alors que plus de cinq siècles se sont écoulés, rien n’a changé : ce n’était qu’un autre amour non partagé. Pourtant, le musée italien est bien plus qu’un amant timide et négligé puisqu’il poursuit aujourd’hui Jean Paul Gaultier, invoquant la violation du Code italien du patrimoine culturel (CCH) et demandant le retrait des vêtements « illégitimes » ainsi qu’une attribution de dommages et intérêts.
Comparaisons boiteuses mises à part, cette histoire est intéressante car c’est l’occasion de discuter de la protégeabilité des œuvres artistiques en vertu des lois italiennes. À cette fin et afin de fournir un bref aperçu du cadre juridique actuel, nous avons distingué ci-dessous quatre catégories différentes d’œuvres d’art et identifié leur traitement juridique (potentiel) en fonction de leur emplacement (dans une institution culturelle/dans l’espace public) et statut juridique (couvert par le droit d’auteur/dans le domaine public):
Scénario 1 – Reproduction d’œuvres d’art situées dans une institution culturelle/musée et dans le domaine public
C’est exactement le cas ici. Nous avons une œuvre exposée dans un musée et qui est dans le domaine public. Autrement dit, plus de 70 ans se sont écoulés depuis la mort de son auteur, Sandro Botticelli.
Il s’agit d’une hypothèse dont la résolution est relativement facile, car elle est expressément disciplinée par le CCH italien. Selon l’article 107 CPC « Le Ministère, les Régions et les autres collectivités territoriales peuvent autoriser la reproduction ainsi que l’utilisation instrumentale et temporaire des biens culturels confiés à leur garde, sans préjudice des dispositions de l’alinéa 2 et de celles relatives au droit d’auteur ». Ainsi, non seulement il appartient à l’autorité qui s’occupe de l’œuvre d’art (par exemple, une institution muséale, une bibliothèque individuelle, etc.) de décider si sa reproduction doit être autorisée, mais ces mêmes autorités devraient également définir les frais de concession spécifiques associés à une telle reproduction. . Toutefois, aucune redevance n’est versée pour certaines utilisations particulières, comme en cas d’utilisation personnelle, d’utilisation à des fins d’études ou d’utilisation par des personnes publiques dans le but de valoriser les biens eux-mêmes.
D’autre part, étant donné que ces œuvres sont déjà tombées dans le domaine public, dans un tel scénario, il n’y a pas de place pour que le droit d’auteur s’applique. En d’autres termes, la demande des Offices ne pouvait être neutralisée en s’appuyant sur la transposition italienne de l’article 14 de la directive DSMqui prévoit que « Lorsque la durée de protection d’une œuvre des arts visuels a expiré, tout élément résultant d’un acte de reproduction de cette œuvre n’est pas soumis au droit d’auteur ou aux droits voisins, à moins que l’élément résultant de cet acte de reproduction ne soit original au sens où c’est la propre création intellectuelle de l’auteur. » Ceci pour deux raisons, comme le souligne E. Rosati. Premièrement, la transposition italienne de l’article 14 est expressément sans préjudice de l’application du CCH. Deuxièmement, l’art. 14 de la Directive concerne la protégeabilité de la reproduction d’une œuvre d’art du domaine public, et non une situation comme celle en cause ici, c’est-à-dire l’actionnabilité de la reproduction non autorisée d’une œuvre d’art du domaine public.
Scénario 2 – Reproduction d’œuvres d’art situées dans une institution culturelle/musée et couvertes par le droit d’auteur
Dans ce deuxième scénario également, une œuvre d’art existe qui est exposée dans un musée. Cependant, dans ce cas, l’auteur de l’œuvre est toujours en vie et/ou moins de 70 ans se sont écoulés depuis sa mort.
Ainsi subsiste la protection du droit d’auteur sur l’œuvre, les auteurs ayant le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire l’exploitation économique, y compris la reproduction, de leurs œuvres. À cet égard, il convient de noter qu’il existe une nette différence entre les œuvres protégées par la loi sur le droit d’auteur et les œuvres protégées par le CCH. A la différence des œuvres originales protégées par le droit d’auteur, l’article 2 CCH stipule que les biens culturels consistent en « les choses immobilières et mobilières qui, en application des articles 10 et 11, présentent un intérêt artistique, historique, archéologique, ethnoanthropologique, archivistique et bibliographique, et de toute autre chose identifiée par la loi ou conformément à la loi comme mettant à l’épreuve les valeurs de civilisation » .
Ceci étant dit, dans ce deuxième scénario comme dans le premier, les tiers désireux d’utiliser et/ou de reproduire des œuvres d’art situées dans une institution culturelle devront toujours entrer en contact avec l’entité de gestion respective, afin de vérifier si des contrat de licence est en place. En effet, il est possible – et même probable – que les droits d’exploitation économique de l’œuvre litigieuse aient entre-temps été transférés par l’auteur à l’institution elle-même. Dans ces circonstances, les redevances seront versées à cette entité plutôt qu’à l’auteur.
Scénario 3 – Reproduction d’œuvres exposées dans un espace public et dans le domaine public
Ce scénario partage certaines similitudes avec le cas en question. En effet, il existe une œuvre d’art et plus de 70 ans se sont écoulés depuis la mort de son auteur. Pourtant, cette œuvre d’art n’est pas située dans un musée mais en plein air. Ce serait le cas, par exemple, si Sandro Botticelli avait été un artiste de rue et que sa peinture avait été reproduite sur les murs de certains immeubles de Florence plutôt qu’exposée dans un musée. C’est également le cas de la plupart des ouvrages architecturaux, comme le Colisée, construit par nos ancêtres romains et placé dans Via dei Fori Imperiali à Rome.
En l’absence de toute disposition légale sur ce point,[1] les travaux mentionnés doivent être considérés comme «commun » ou des biens communs et leur utilisation doit être permise sous toutes les formes possibles, par n’importe qui. En effet, cette conclusion est conforme à la Constitution italienne et, plus généralement, à la nécessité que les intérêts de la communauté prévalent toujours sur ceux des propriétaires individuels, quelle que soit leur nature publique ou privée. À la base de cette solution, il y a la compréhension inévitable que les biens historiques sont avant tout des biens de la communauté, car ils appartiennent à la nation plutôt qu’à des entités publiques (article 9 de la Constitution italienne).
Cependant, cette solution ne semble pas être acceptée par de nombreuses municipalités, qui ont récemment revendiqué leurs droits sur ces œuvres, même si elles sont exposées dans l’espace public. Par exemple, selon le règlement de la municipalité de Lucca une autorisation préalable est requise, ainsi que le paiement d’une certaine redevance, pour le cas de photographies ou de tournages se déroulant sur le terrain communal et n’ayant pas un but purement privé.
Scénario 4 – Reproduction d’œuvres exposées dans un espace public et protégées par le droit d’auteur
Ce dernier scénario est très similaire au précédent : dans ce cas également, il y a une œuvre d’art et elle est placée dans l’espace public. Pourtant, son auteur est toujours vivant et/ou moins de 70 ans se sont écoulés depuis sa mort.
En l’absence de toute disposition légale, de l’avis des auteurs, une exception légale devrait s’appliquer, permettant la libre reproduction d’œuvres placées de manière permanente dans l’espace public. En particulier, une telle exception ne devrait pas faire de distinction entre la reproduction d’œuvres protégées par le droit d’auteur (scénario 4) et les œuvres du domaine public (scénario 3), à condition que ces œuvres soient « permanentes » et qu’elles ne soient pas destinées à une jouissance collective temporaire. De même, dans le sillage d’autres modèles européens reconnaissant expressément une «liberté de panorama” conformément à l’article 5, paragraphe 2, point h), de la directive InfoSoc, seules les reproductions en deux dimensions (dessins, peintures, photos et vidéos) devraient être couvertes par l’exception, ainsi que les utilisations qui n’ont pas l’œuvre protégée comme élément central. En d’autres termes, alors qu’une photographie incluant le Ara Pacis musée en arrière-plan doit toujours être autorisé, . ce ne serait pas le cas d’une photographie dont le seul objet est le musée lui-même.
Remarques finales
Notre analyse montre que la question de la protégeabilité des œuvres d’art en Italie est loin d’être claire. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’œuvres d’art exposées dans un espace public, en l’absence d’une règle spécifique à ce sujet.
Pour en revenir à notre saga Naissance de Vénus, la principale difficulté ici est que, lorsqu’il s’agit de biens culturels, conformément au CCH italien, chaque institution doit définir la liste des biens et les redevances de concession correspondantes. Un tel scénario implique inévitablement des coûts de transaction élevés, puisque toute décision est laissée au pouvoir discrétionnaire des institutions, et il n’est pas possible pour les tiers désireux d’utiliser l’œuvre d’obtenir un devis à l’avance. Dans le même temps, une telle incertitude juridique affecte toutes les parties concernées.
A cet égard, une solution potentielle Condendo de droit serait la mise en place d’un système juridique où non seulement la liste des biens culturels mais aussi les redevances à payer pour leur exploitation seraient établies (et rendues publiques) à l’avance par l’institution compétente (et notamment le Ministère de la Culture). Les frais doivent être différents selon l’œuvre d’art spécifique en jeu ainsi que le type d’utilisation et le titulaire de la licence. En effet, un tel système serait bénéfique pour toutes les parties concernées, étant donné qu’il permettrait d’atteindre l’objectif sous-jacent du CCH italien : promouvoir et valoriser le patrimoine culturel italien, tout en préservant la mémoire de la communauté nationale et de son territoire (article 1 du CCH) .
[1] En Italie, il y a trois cas principaux à examiner pour se guider. Premièrement, en 2017, le tribunal de Florence a ordonné à l’agence de voyages et voyagiste Visit Today, qui avait reproduit l’image de la statue du David de Michel-Ange dans sa publicité, de supprimer toutes les images de la statue du David de Michel-Ange de son matériel promotionnel numérique et imprimé et de publier la décision. dans trois journaux nationaux et sur le site Web de Visit Today. La même année, le tribunal de Palerme a conclu qu’une banque italienne avait enfreint le CCH en incluant une image du Teatro Massimo de la ville dans ses publicités. Plus récemment, le tribunal de Florence a émis une injonction contre Studi d’Arte Cave Michelangelo Srl pour avoir utilisé une image du David de Michel-Ange, voir