Le vendredi 8 septembre 2023, la Chambre de Commerce Internationale (ICC) et la Cour internationale d’arbitrage (Cour de la CCI) ont organisé une table ronde sur l’interaction entre l’arbitrage et les tribunaux nationaux intitulée « Arbitrage et tribunaux nationaux – Convergence ou divergence ?» à son siège à Paris. L’événement, organisé par Pedro Arcoverde (alors conseiller juridique de la Cour de la CPI et maître de conférences à SciencesPo), dans le cadre du 6ème Forum d’arbitrage brésiliena été modéré par Luiza Saldanha (Associé, Freshfields Bruckhaus Deringer, Paris) et avec la participation d’Esperanza Barron Baratech (Associé, Latham & Watkins, Paris), José Manuel Garcia Represa (Associé, Dechert (Paris) LLP), Daniel Lévy (Enyo Law LLP, Londres) et Samantha Nataf (Membre, Cour Internationale d’Arbitrage ICC ; Associé, De Gaulle Fleurance, Paris).
Les panélistes ont partagé leurs propres expériences en tant que professionnels de l’arbitrage et ont abordé la question de l’intervention des tribunaux nationaux dans les procédures d’arbitrage en trois phases : les premières étapes (y compris avant la constitution du tribunal arbitral) ; pendant la procédure d’arbitrage ; et après la délivrance du prix, comme analysé plus en détail ci-dessous.
Étapes préliminaires
Aux premiers stades d’un arbitrage, en particulier dans ad hoc Dans certains cas, les tribunaux nationaux peuvent contribuer à constituer des tribunaux arbitraux, intervenant ainsi de manière « constructive ». Mme Nataf rappelle que les tribunaux français sont dotés de ce pouvoir en vertu des articles 1451-54 du Code de procédure civile (« Juge d’appui » dans ad hoc cas) et M. Levy a cité l’exemple d’un cas où un juge anglais, à la demande du demandeur, a nommé l’ensemble du tribunal arbitral après avoir annulé la nomination du demandeur, en faveur de l’égalité entre le demandeur et le défendeur non participant.
À l’inverse, M. Garcia Represa a observé que les tribunaux nationaux peuvent également prendre des mesures « destructrices » en révoquant les arbitres. Il en a mentionné un ad hoc affaire où, devant un tribunal français, le défendeur a demandé et obtenu l’annulation de la désignation par le demandeur d’un arbitre unique parce que le tribunal a estimé que le mode de désignation – donnant aux parties la possibilité de choisir un arbitre unique sur une liste rédigée exclusivement par le demandeur – était contre l’ordre public.
En dehors de la nomination ou de la révocation des arbitres, l’intervention des tribunaux nationaux peut être utilisée de manière stratégique dès les premiers stades de l’arbitrage pour obtenir des mesures provisoires. Dans ce contexte, Mme Barron Baratech a souligné deux types de cas dans lesquels l’intervention du tribunal pourrait être sollicitée : (i) les cas où les mesures souhaitées ne sont pas disponibles devant un tribunal arbitral (par exemple, réparation contre un tiers, saisie d’actifs, réparation en vertu de un contrat connexe sur lequel le tribunal arbitral n’a pas compétence) ; et (ii) les cas où les mesures souhaitées sont disponibles mais pour des raisons stratégiques, les parties peuvent souhaiter s’adresser aux tribunaux nationaux.
Dans cette dernière série d’affaires, Mme Barron Baratech s’est penchée sur plusieurs facteurs stratégiques susceptibles d’orienter les parties vers les tribunaux nationaux. Premièrement, cela dépend de la raison pour laquelle une partie demande ces mesures (par exemple, faire pression sur l’autre partie, déclencher des discussions, etc.). Deuxièmement, un facteur important à considérer est de savoir si la mesure provisoire est équivalente à la réparation demandée sur le fond. Par exemple, il n’y a pratiquement aucune demande d’ordonnance au fond une fois qu’une partie a obtenu une référé des tribunaux français, car la partie n’est plus incitée à poursuivre l’affaire sur le fond. Troisièmement, le moment choisi peut également influer sur la décision d’une partie. Des mesures provisoires peuvent être obtenues auprès d’un tribunal français en deux à trois mois, alors qu’un arbitrage d’urgence selon le Règlement de la CCI, par exemple, sera très rapide, mais déclenchera le délai de prescription pour soumettre une demande d’arbitrage et un dossier au fond, après quoi un tribunal arbitral peut prendre six à sept mois pour être constitué. Il faudrait donc environ trois fois plus de temps pour obtenir exactement les mêmes mesures que celles accordées par un tribunal ou une procédure d’arbitrage d’urgence, en plus de nécessiter une procédure d’exécution.
M. Garcia Represa et M. Levy ont fait écho à l’importance du timing et ont soulevé plusieurs autres considérations importantes. D’une part, la confidentialité peut peser en faveur de la recherche de mesures provisoires par le biais d’un arbitrage d’urgence, car même des ordonnances judiciaires scellées peuvent ne pas garantir une confidentialité totale. En revanche, si une partie cherche ex parte mesures, elle devrait être portée devant les tribunaux, car il est peu probable que les arbitres d’urgence les accordent.
Enfin, Mme Barron Baratech et M. Levy ont ajouté que les arbitres d’urgence ont tendance à aller plus en profondeur dans leurs ordonnances/sentences provisoires que les juges des tribunaux nationaux, notamment en ce qui concerne la probabilité de succès sur le fond (un facteur souvent pris en compte par les arbitres d’urgence). ). Cela peut donner aux parties une image beaucoup plus claire de l’issue potentielle de l’affaire et peut être bénéfique pour le dossier d’une partie lorsqu’elle souhaite documenter la mauvaise foi de l’autre partie.
Pendant l’arbitrage
Les panélistes observent ensuite que lors d’une procédure d’arbitrage, les parties peuvent souhaiter l’appui des tribunaux lorsqu’elles n’ont pas les moyens financiers de procéder à l’arbitrage ou lorsque les parties cherchent à obtenir une ordonnance contre un tiers. Bien qu’il s’agisse de situations dans lesquelles les tribunaux nationaux ont traditionnellement refusé d’agir, les panélistes ont noté que dans certaines circonstances, les tribunaux deviennent plus ouverts à l’intervention. Par exemple, Mme Nataf rappelle que si les tribunaux français refusent généralement de considérer qu’un manque de fonds permettra aux parties de contourner une convention d’arbitrage, dans l’affaire PWC, la Cour de cassation a considéré que les conventions d’arbitrage dans le cadre de contrats de consommation étaient abusives au regard du droit de l’Union. M. Levy a également souligné que la Commission du droit anglais a récemment proposé un amendement à la loi sur l’arbitrage de 1996 qui préciserait explicitement que les juges nationaux peuvent rendre des ordonnances contre des tiers dans les affaires d’arbitrage.
En revanche, il arrive aussi que les parties se méfient particulièrement de l’intervention du tribunal. M. Garcia Represa a suggéré que l’intervention d’un tribunal pénal pendant une procédure d’arbitrage est un exemple particulièrement troublant d’ingérence judiciaire non désirée. L’arbitre dans l’affaire controversée de Sulupar exemple, fait face à des accusations criminelles pour s’être opposé à la décision d’un tribunal de Madrid d’annuler une sentence partielle dans laquelle il s’était déclaré compétent pour arbitrer l’affaire. De même, au Pérou, 14 arbitres ont été inculpés sur des accusations de corruption en 2020 après qu’un lanceur d’alerte ait été autorisé à recevoir de l’argent des parties à un arbitrage. Selon M. Garcia Represa, une telle intervention du tribunal pénal risque d’être manipulée indûment par les parties pour faire pression sur les arbitres, en particulier dans les affaires impliquant des États.
Mme Barron Baratech a souligné les injonctions anti-arbitrage comme un autre exemple d’ingérence malvenue de la part des tribunaux nationaux, en prenant pour exemple les récentes affaires russes. En 2021, dans l’affaire Uraltransmashla Cour suprême de Russie a estimé que les tribunaux russes devraient avoir une compétence exclusive sur les cas dans lesquels les parties russes font l’objet de sanctions imposées par les États dans lesquels une procédure d’arbitrage est en cours et a déclaré que les tribunaux russes pourraient ainsi émettre des injonctions anti-arbitrage interdisant aux demandeurs de procéder dans une telle procédure. une juridiction (comme indiqué ici).
Néanmoins, Mme Barron Baratech a noté que l’intervention des tribunaux peut également être utilisée stratégiquement comme contre-mesure dans des situations comme celles-ci. Par exemple, les demandeurs pourraient demander des injonctions anti-poursuites auprès des tribunaux d’autres juridictions pour interdire aux parties russes de porter leur affaire devant les tribunaux russes.
Après la remise du prix
En ce qui concerne l’intervention des tribunaux après le prononcé des sentences arbitrales, les panélistes ont soulevé plusieurs questions concernant la capacité et la volonté des tribunaux nationaux d’intervenir. M. Levy et Mme Nataf ont observé des différences dans les points de vue des tribunaux français et anglais sur la corruption dans l’arbitrage et le pouvoir d’enquêter sur les preuves. Ils ont discuté du cas Alstom (rapporté ici), qui contrastait fortement entre le refus du tribunal anglais de rouvrir une question qui était ou aurait pu être soulevée devant le tribunal arbitral et la volonté du tribunal français d’examiner des preuves de corruption.
M. Garcia Represa a évoqué le pouvoir dont disposent les tribunaux nationaux dans les cas où la sentence refuse à l’arbitre la compétence sur les réclamations et comment cela diffère selon les pays européens. En vertu de la loi espagnole sur l’arbitrage, les tribunaux espagnols ont le pouvoir de réviser les sentences lorsque leur compétence a été confirmée, mais à l’inverse, ils ne peuvent pas réviser les sentences rejetant leur compétence. Au contraire, les tribunaux français, anglais et suisses réviseront les deux sentences confirmant et niant la compétence. À travers ces exemples, M. Garcia Represa a souligné comment, selon le lieu où les parties placent le siège de l’arbitrage, elles peuvent rencontrer des tribunaux qui n’accepteront pas la révision de certaines sentences.
Conclusion
Même si l’arbitrage est souvent considéré comme très distinct des systèmes judiciaires nationaux, il existe des circonstances dans lesquelles ces mondes apparemment distincts se chevauchent. En discutant de la relation entre les tribunaux et l’arbitrage à chaque étape du processus d’arbitrage, depuis avant la demande d’arbitrage jusqu’après le prononcé de la sentence, les panélistes ont démontré que l’ingérence des tribunaux dans les affaires d’arbitrage peut parfois être indésirable, mais aussi constitue un outil important dans la boîte à outils stratégique d’un professionnel de l’arbitrage.
Veuillez noter que l’auteur est stagiaire aux Services de règlement des différends de la CCI au moment de l’événement et de la publication du message. Les opinions sont celles de l’auteur uniquement et ne visent pas à refléter celles d’ICC.