Le mécanisme de révision de l’arbitrage sportif en Suisse est sous surveillance. Après de précédentes critiques du point de vue des droits de l’homme, la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE »), dans sa récente décision de l’Union internationale de patinage (« ISU »), a estimé que le niveau de contrôle appliqué par le Tribunal fédéral suisse (« TSF ») aux sentences arbitrales obligatoires du Tribunal arbitral du sport (« TAS ») est insuffisant pour protéger les droits économiques découlant du droit de la concurrence de l’UE (voir article de blog précédent ici). Cela signifie une mauvaise nouvelle pour les instances dirigeantes du sport (« SGB »), dont l’évasion du droit européen de la concurrence vers la Suisse n’est plus possible, mais une bonne nouvelle pour les athlètes et les entreprises, dont les droits économiques et les options procédurales ont été renforcés par la CJUE.
La décision de l’ISU
La décision de la CJUE concernait les règles d’autorisation préalable et d’éligibilité fixées par l’ISU, la fédération internationale dans le domaine du patinage artistique et du patinage de vitesse. En résumé, l’ISU a adopté des règles qui déterminent les conditions permettant à des entreprises tierces d’organiser des compétitions de patinage, les conditions permettant aux athlètes de participer à de telles compétitions et un régime de sanctions éventuelles. La CJUE a jugé que ces règles violaient le droit européen de la concurrence.
Du point de vue de l’arbitrage sportif, la décision de la CJUE contient des considérations cruciales sur les exigences minimales des conventions d’arbitrage obligatoires du TAS dans le cadre des règles de l’ISU pour la révision des décisions prises par l’ISU en vertu desdites règles.
Le rôle vital de l’arbitrage sportif : garantir des règles du jeu équitables
L’arbitrage constitue le moyen essentiel de règlement des différends sportifs. En particulier parce que, par rapport aux litiges devant les tribunaux étatiques de divers pays, l’arbitrage offre une acceptation pratiquement mondiale sur la base de la Convention de New York.. L’acceptation mondiale des sentences arbitrales est vitale pour le sport organisé, car elle garantit une application uniforme et harmonisée des règles sportives, ce qui est essentiel pour garantir des conditions de concurrence équitables entre les participants aux compétitions sportives internationales. Ainsi, le TAS a été accepté par de nombreux SGB nationaux et internationaux comme ayant une compétence exclusive pour connaître des recours contre les décisions internes des SGB.
Afin de garantir la compétence exclusive du TAS, les SGB exigent que les athlètes acceptent les conventions d’arbitrage obligatoires du TAS, en vertu desquelles la compétence exclusive du TAS pour faire appel de leurs décisions constitue une condition juridique préalable à la participation à des compétitions sportives. En échange, les tribunaux des États fixent des exigences minimales pour accepter un tel arbitrage obligatoire. Ces exigences minimales nécessitent notamment une protection efficace des droits des athlètes. La décision ISU de la CJUE précise les exigences minimales pour un tel arbitrage obligatoire concernant la protection des droits économiques en vertu de l’art. 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE »).
L’arbitrage obligatoire doit permettre un contrôle judiciaire efficace du respect de l’art. 101 et 102 TFUE
Dans un premier temps, la CJUE a déclaré que le recours à un mécanisme d’arbitrage conférant au TAS une compétence obligatoire et exclusive pour réexaminer les décisions des SGB nécessite un contrôle judiciaire effectif de la sentence arbitrale qui en résulte. Ce contrôle judiciaire doit, pour être efficace, pouvoir couvrir la question de savoir si une sentence arbitrale est conforme aux droits et libertés que les individus tirent du droit de l’UE, qui inclut les protections des articles 101 et 102 du TFUE.
En conséquence, lorsqu’une décision du SGB concerne les activités économiques d’athlètes et d’entités ou d’autres entreprises dans l’UE, un contrôle judiciaire efficace d’une sentence du TAS doit inclure un examen de la conformité de la sentence avec l’art. 101 et 102 TFUE par la juridiction de révision. Le tribunal doit également être habilité à poser une question préjudicielle à la CJUE en vertu de l’art. 267 TFUE.
La portée de l’examen du SFC est insuffisante pour protéger les droits et libertés en vertu du droit européen de la concurrence
Dans un deuxième temps, la CJUE a examiné si le mécanisme de contrôle du SFC pour les sentences obligatoires du TAS constitue un contrôle judiciaire aussi efficace. Selon les règles R28 du CAS, tous les arbitrages du TAS sont basés à Lausanne, en Suisse. Les sentences du TAS sont donc soumises à l’examen du SFC en vertu de l’art. 190 Loi fédérale sur le droit international privé (IPRG), c’est-à-dire suisse loi de l’arbitrage. En vertu de l’art. 190 par. 2 allumé. e) IRPG, le contrôle au fond d’une sentence du TAS se limite à l’analyse de l’incompatibilité avec l’ordre public suisse (ordre publique).
Selon la CJUE, ce critère de contrôle du SFC n’inclut pas l’examen de la conformité de la sentence avec les dispositions de l’art. 101 et 102 TFUE, et ne constitue donc pas un contrôle judiciaire efficace du point de vue du droit de l’UE. La raison en est que (i) le ordre publique révision du SFC selon l’art. 190 par. 2 allumé. e) L’IRPG ne demande pas si la sentence est conforme à l’art. 101 et 102 TFUE, et (ii) le SFC n’est pas une cour ou un tribunal d’un État membre de l’UE et n’est donc pas habilité à poser une question préjudicielle à la CJUE en vertu de l’art. 267 TFUE lors de l’examen d’une sentence du TAS.
Quelles sont les conséquences immédiates ?
En conséquence immédiate, la CJUE a estimé que les règles d’arbitrage obligatoires stipulées par l’ISU rendaient plus difficile le contrôle judiciaire du droit de la concurrence de l’UE et renforçaient donc la nature anticoncurrentielle des règles substantielles d’autorisation préalable et d’éligibilité de l’ISU. La validité des conventions d’arbitrage ne faisait pas partie des questions examinées par la CJUE, et la CJUE n’a donc pas décidé si les conventions d’arbitrage obligatoires du TAS constituent elles-mêmes une violation de l’art. 101 et 102 TFUE.
Cependant, la décision de la CJUE envoie un signal fort au TAS et à tous les SGB qui prévoient un arbitrage obligatoire du TAS : si la décision d’un SGB concerne des activités économiques dans l’UE, une convention d’arbitrage obligatoire du TAS et la compétence de contrôle de la SFC ne sont pas autorisées car elles porterait atteinte à la protection des droits économiques individuels prévue à l’art. 101 et 102 TFUE.
Extension des préoccupations concernant le mécanisme de révision du SFC
Concernant les critiques adressées au mécanisme de révision par la SFC des sentences arbitrales obligatoires du TAS, la décision de la CJUE peut être considérée comme conforme aux décisions antérieures de la Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») sur la protection des droits des athlètes en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme. Droits de l’Homme (« CEDH »).
Dans son Mutu et Pechstein décision (voir aussi ici), la Cour EDH a renforcé la protection des droits procéduraux des athlètes qui n’étaient pas considérés comme faisant partie de ordre publique analyse selon l’art. 190 al. 2 lit. e) IPRG par le SFC. Selon la Cour EDH, les droits procéduraux prévus à l’art. 6, paragraphe 1, de la CEDH, y compris le droit à une audience publique, sont applicables dans les cas où la révision des décisions des SGB par le biais de l’arbitrage du TAS est obligatoire. En conséquence, les Règles du TAS ont été modifiées avec le droit pour les athlètes de réclamer une audience en public (R57 Règles du TAS).
Dans son Casteur Semenya décisionqui est toujours soumise au contrôle de la Grande Chambre de la Cour EDH, la Cour EDH étend cette jurisprudence aux droits substantiels de la CEDH qui n’étaient pas considérés comme faisant partie de ordre publique en vertu de l’art. 190 al. 2 lit. 2 IPRG par le SFC. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que l’examen effectué par la SFC ordre publique Les violations étaient trop limitées pour offrir aux individus des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes au titre de la CEDH. La Cour européenne des droits de l’homme a notamment critiqué le fait que, selon la jurisprudence du SFC, l’interdiction de la discrimination prévue à l’art. 14 CEDH et l’art. 8 CEDH émanant d’entités de droit privé, telles que les SGB, ne relevaient pas de la notion de ordre publique.
À la lumière de ces décisions de la Cour EDH, la décision ISU de la CJUE constitue une autre critique de la portée limitée du contrôle de la SFC sur les sentences arbitrales obligatoires du TAS. Et une fois de plus, les critiques profitent à la protection des athlètes et des entreprises soumises aux règles de la SBG – mais cette fois-ci, les droits protégés étant des droits économiques individuels protégés par le droit européen de la concurrence.
Et après?
Pour les SGB, qui sont des monopoles naturels dans leurs sports respectifs et opèrent dans l’UE, le contrôle très limité des décisions du TAS en Suisse concernant le droit de la concurrence de l’UE a été considéré comme un avantage, car ils ont pu échapper à un contrôle complet de leurs décisions en vertu de l’art. 101 et 102 TFUE. En revanche, par exemple les tribunaux allemands procéder à un examen complet des sentences arbitrales concernant leur conformité avec le droit de la concurrence de l’UE. Cette évasion semble désormais bloquée par la décision de la CJUE.
Il reste à voir si la CJUE estimerait que les clauses d’arbitrage obligatoires du TAS, y compris le mécanisme de recours restreint devant la SFC, sont conformes au droit de la concurrence de l’UE. En attendant plus de certitude de la part de la CJUE, la décision de l’ISU produit de nouveaux arguments en faveur de la protection des droits des athlètes dans les procédures du TAS et élargit les possibilités procédurales dans les litiges contre les règles des SBG contenant un arbitrage obligatoire du TAS.
Du point de vue des SGB, la décision de la CJUE crée une insécurité juridique quant à leur choix de règlement des litiges. Une solution possible serait que le TAS adapte ses règles et autorise d’autres sièges d’arbitrage en dehors de la Suisse, par exemple dans les pays de l’UE qui satisfont aux exigences de la CJUE. D’ici là, les SGB pourraient envisager d’opter pour d’autres institutions d’arbitrage sportif, au lieu du TAS, qui autorise un siège ou un arbitrage dans un État membre de l’UE, par exemple le Tribunal allemand d’arbitrage sportif..